Léon Pierre Victor Labigne, jeune mousse sur le trois-mâts nantais La Pérouse

 


En dix ans de recherches généalogiques, je n'avais pas encore eu l'occasion de flâner dans les archives maritimes. C'est maintenant chose faite en cherchant des informations sur l'arrière-grand-père paternel de mon fils. De quoi lui raconter de belles histoires de traversées en mer.


    Léon Pierre Victor Labigne est né le 17 septembre 1890 dans la ville portuaire Saint-Nazaire, en Loire-Atlantique. Il a passé son enfance avec ses parents, ajusteur et lingère de profession, dans les rues de Méans et de Nantes, non loin du port de Saint-Nazaire.

Le destin ne lui offre pas à une enfance tendre et  insouciante puisque Léon perd successivement sa mère (en 1900) puis son père (en 1903). Orphelin à 13 ans, il ne semble plus avoir aucune famille, à part un oncle vicaire. Trop jeune pour l'armée, il lui est par contre possible de se faire enrôler comme mousse sur un navire. 

"C’est la loi du 24 décembre 1896, sur l’inscription et non la loi sur le travail des enfants qui règle la condition des mousses à bord des navires marchands. Dès 10 ans, s’il sait lire et écrire le mousse peut être embarqué, et, par suite de l’indulgence des autorités et de leur incapacité parfois à s’assurer du degré d’instruction de ces enfants, c’est dès cet âge qu’en grand nombre ils sont enrôlés. [...]« Sur les grands voiliers, lisons-nous, en dehors de la manœuvre, le service du mousse consiste à balayer le pont, à nettoyer les cages à poules, à soigner les bêtes, à gratter la rouille. » Pendant la manœuvre il doit s’épuiser à faire mouvoir un treuil, trop lourd pour ses forces. "

 Paul Gemähling, « L’emploi des mousses pour la pêche à Terre-Neuve », in Revue populaire d’économie sociale

Léon décide prendre son destin en main . Il réussit à se faire enrôler comme mousse sur le vapeur au long-court Longwy et embarque pour un voyage de 2 mois et 13 jours. Le bateau part de Nantes le 3 septembre 1905 sous le commandement du capitaine Le Guevec, en direction de Tampa en Floride et revient le 15 janvier 1906. Un voyage sans encombre qui semble conforter Léon dans son choix de carrière. Il décide de renouveler l'expérience, cette fois, pour un bien plus long voyage.


Traversée maritime sur le navire La Pérouse

Son second voyage, Léon l'effectue sur le trois-mâts carré en acier La Pérouse,appartenant à  la Compagnie Maritime Française, sous le commandement du capitaine Eugène Corvec. Le second capitaine est Etienne Pirean , le 2eme maitre Raymond Lehuedé. 

En tout, ce sont treize hommes dont Léon Labigne, comme mousse, qui partent de Nantes, le 6 avril 1906 en direction de Portland, en Oregon (Etats-Unis).


Extrait du rôle de bord du navire La Pérouse, désarmé à Nantes, le 17 mai 1907














Le voyage semble s'être déroulé sans grands incidents.

Sans accès au journal de bord ni au compte rendu du capitaine Corvec, j'ai tout de même réuni des informations sur le déroulement de ce voyage de 13 mois.

Le 5 avril 1906, le bateau arrive déjà en Angleterre à Swansea, après avoir déjà effectué un court arrêt au port de Sharpness. Un escale d'un mois qui permet au capitaine Corvec d'être rejoint par son épouse, d'enrôler douze hommes supplémentaires pour la traversée de l'Atlantique et sûrement de charger de la marchandise supplémentaire.

Le 5 mai 1906, le navire entreprend donc la grande traversée. Le 11 octobre 1906, après cinq mois ou 157 jours de voyage , La Pérouse est proche de son but. Cependant, la mer agitée et un vent de sud-est l'empêchent d'entrer dans le port d'Astoria et l'obligent à jeter l'ancre au large en attendant une météo plus favorable.

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LE CAPITAINE REFUSE UN PILOTE
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CAPITAINE DU BATEAU FRANÇAIS LA PEROUSE EST ÉCONOME.
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Le vent du sud-ouest oblige le navire à ancrer au large des côtes et le commandant dit qu'il naviguera.
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ASTORIA. Or., 11 octobre (Spécial.) Un fort vent du sud-est a frappé la côte jusqu'au matin et à midi le vent à North Head soufflait à une vitesse de 46 milles. Plus tard, le vent s'est déplacé vers le sud et s'est calmé considérablement. La traversée était très rude toute la journée. avec la rupture des mers clair à travers et rien sauf les remorqueurs n'a pu traverser.
A 7 heures ce matin, le navire français La Pérouse, de Swansea, et lourdement chargé, a été signalé sept miles au large de North Head, et environ deux heures plus tard, a jeté l'ancre à environ cinq miles au nord-ouest de la balise sifflante et environ trois miles à l'extérieur de la ligne de disjoncteurs. Les deux remorqueurs de traversée sont venus à elle. Il n'y avait pas de pilote à bord du navire et comme elle ne pouvait pas être amenée sur la barre de rupture. Le capitaine Bailey a proposé de mettre une aussière à bord, de remorquer le navire plus au large et le garder amarrer jusqu'à ce que les conditions météorologiques permettent de l'amener vers  l'intérieur, à condition que le navire paye pour le service supplémentaire.
Le capitaine du navire a refusé l'offre, en disant qu'il n'avait pas besoin d'assistance, qu'il ne paierait pas plus que le tarif de remorquage régulier et en ajoutant qu'il aurait un vent du nord-ouest demain. Les remorqueurs sont partis, mais sortiront tôt demain matin et remorqueront le navire si les conditions le permettent. Le navire est ancré dans une vingtaine de brasses d'eau, et bien qu'elle roule dans la mer agitée bien que son bastingage soit sous l'eau, elle ne présente aucun danger particulier, à condition que son câble ne se sépare pas lors d'une des bourrasques fréquentes: 
Pourquoi le navire s'est-il approché si près face au vent du sud-est au lieu de rester au large est un mystère, mais les hommes des transports maritimes croient qu'elle essayait d'entrer par l'ancien canal nord et son capitaine ne s'est rendu compte de son erreur que trop tard. Si elle était restée au large, un pilote aurait pu être placé à bord, mais dans sa position actuelle, un petit bateau ne pouvait pas l'approcher. Le baromètre monte régulièrement ce soir et les indications sont favorables à une meilleure météo demain.

Publication du Morning Oregonian, 12 octobre 1906


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Le capitaine Corvec a visiblement été victime d'une tentative d'extorsion assez répandue. Il faut savoir que le tarif habituel de remorquage pour un bateau tel que La Pérouse est de 800 dollars aller-retour  jusqu'à Portland alors que le tarif proposé par le capitaine Bailey était de 10,000 dollars ! Une escroquerie qui ne passera pas auprès des propriétaire de La Pérouse, lesquels déposeront plainte.

Le 13 octobre, à une heure de l'après-midi, la Pérouse est finalement remorqué sans encombre dans le port d'Astoria. L'équipage doit encore patienter avant de pouvoir être remorquer 4 jours plus tard par le steamer Oklahoma, sur la rivière Columbia, jusqu'à Portland.

Le capitaine Corvec prévoit un escale de presque un mois, le temps de laisser l'équipage se reposer mais également de décharger aux docks le charbon transporté pour le compte de Balfour, Guthrie & Company et de charger de la nouvelle marchandise en direction de l'Europe. 
Le 3 décembre 1906, Le Pérouse commence à charger du blé dans le dock Montgomery.

Dix jours plus tard, le chargement de marchandise est terminé. La Pérouse est destiné à acheminer vers l'Europe  111,327 boisseaux de blé pour une valeur de 78,500 dollars. Le navire est à nouveau remorqué vers Astoria pour reprendre la mer direction Queenstown ou Falmouth. Cependant, un incident va retarder son retour en Europe. Lors du remorquage le long de la rivière Colombia, La Pérouse perd une de ses ancres à hauteur de la ville de Rainier puis la deuxième et 60 brasses de chaîne en tentant d'ancrer dans le port d'Astoria.

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La Pérouse obtiendra une nouvelle chaîne.

ASTORIA, Or .. 22 déc. (Spécial.)
Le capitaine Hoben, arpenteur pour le Bureau Veritas, a fait une enquête hier après-midi sur le navire français La Pérouse, qui a perdu deux ancres et une quantité de chaîne en descendant la rivière. Il a donné au navire la permission de prendre la mer, car de nouvelles ancres ont été fixées, mais conformément à sa suggestion, le navire ne naviguera pas tant qu'une chaîne supplémentaire n'aura pas été obtenue. 

Publication The Sunday Oregonian, le 23 décembre 1906


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Malgré l'aval donné par les autorités maritimes de repartir en mer, après avoir récupéré nouvelles ancres et chaînes, le capitaine Corvec se retrouve à nouveau face à un contretemps. La veille de Noël, il constate que deux de ces hommes ont désertés le navire. Il s'agit du mécanicien, Jean-Marie Péron et du charpentier Guillaume Marie Martin. Le capitaine enrôle donc un matelot à Astoria afin de remplacer les marins disparus.


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24 décembre 1906, Astoria, Oregon

Mon cher Mr Cherry,

Le capitaine du navire français "La Perouse" a appris, après son arrivé ce matin que son mécanicien et son charpentier avaient déserté. Il a trouvé un homme à enrôler et est parti avec lui ce soir pour Astoria. Puis-je vous demander de noter les déserteurs et l'homme enrôlé dans le contrat d'engagement maritime.
En vous remerciant et en vous souhaitant un joyeux Noel.
Très respectueusement, 

C Henri Labbe
Agent Consulaire de France




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Le 27 décembre 1906, la Pérouse prend enfin le large direction l'Angleterre. Un trajet retour sans encombre, avec une arrivée le 4 mai 1907 en port de Falmouth., une halte à Hambourg le 9 mai, et un retour sur Nantes, le 17 mai 1907.

Une traversée retour rapide de 128 jours jusqu'à l'Angleterre, avec un capitaine motivé par un pari fait en port d'Astoria avec deux autres capitaines de navires long-courriers. Le Pérouse arrivera second.

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Les journaux de Liverpool donnent un compte rendu intéressant d'une course de longue distance à laquelle ont participé le navire britannique Inverness-shire, le capitaine Tindall; le navire britannique Stronsa, le capitaine Jones et le navire français La Pérouse, le capitaine Corves. Ces navires ont chargé du grain sur la rivière Columbia pour l'Europe et sont partis d'Astoria le 27 décembre, les deux navires britanniques à destination directe de la Mersey et le français, de la Manche, pour les livraisons. Après s'être détachés de leurs remorqueurs, les navires se sont séparés et ne se sont  plus croisés au cours de leurs 14000 miles de voyage jusqu'à l'Angleterre. L'Inverness-shire fut le premier à arriver, atteignant le Mersey le 2 mai, après une traversée de 126 jours. La Pérouse a été signalé au large de Falmouth le 4 mai, en route pour Hambourg, avec 128 jours. Le Stronsa a atteint Liverpool le 15 mai en 139 jours. Le Invesness-shire était à 56 jours d'Astoria au cap Horn, y croisant le Robert Duncan, qui avait quitté Astoria 14 jours avant lui, et le 15 mars croisait l'Empereur Menelik, qui était parti 10 jours avant lui.


The morning Astorian, 28 mai 1907

















Sources : Archives de Loire-Atlantique - Inscription Maritime - Rôle de bord 
 Presse ancienne - Morning Oregonian - The Morning Astorian - The Oregon Daily Pilot

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